Rahil, la khatba du Jellaz

Conversation originale – Obliatrium, 21 mai 2021

Cette conversation est conservée telle quelle, avec l’orthographe et le style originels des membres du groupe Facebook Obliatrium. Elle constitue une archive vivante du patrimoine immatériel.

MONCEF BOUCHRARA :

UNE HISTOIRE DU VIVRE ENSEMBLE,
L'HISTOIRE DE TOUS.
Un Personnage :
RAHIL, LA "KHATBA DE TUNIS":
RACHEL BINT TNANI, épouse de Rabbin,


L'Histoire Ne Devrait pas plus décrire uniquement la vie des Rois ou Des Présidents. Mais Aussi Et Surtout Celle Des Sociétés et De Leurs Pratiques Du Vivre Ensemble. Comment décrire le vivre ensemble du passé ? En Voici un exemple éclatant : L'Usage Culturel des Cimetières : Un exemple d'échanges féconds qui aboutissent à la découverte d'un personnage, une véritable institution de la vie sociale autrefois de Tunis : Le Personnage de RAHIL, LA "KHATBA" :


RACHEL BINT TNANI, épouse de Rabbin,

  1. A quoi nous sert Facebook : Madame Dalenda Barbouche a eu l'amabilité de publier la photo ci dessous sur la page de Si Chawki Dachraoui. Il s'en est suivi un échange fécond entre Mme Selma Ben Moussa Cherichi, Feu Si Ahmed Ben Abdallah, Allah Yarhmou, et Mils Forsokh sur les multiples usages, autrefois, du Cimetière Tunisois du Jellaz. Les échanges sur Facebook font peu à peu émerger ainsi une mémoire collective et surtout des rôles sociaux qui auraient pu disparaître. Une mémoire des fragments de la vie réelle de Tunis d'autrefois. Voici comment on crée un capital immatériel collectif inestimable. Une histoire des us et des coutumes. Rahil était une institution de la vie sociale tunisoise.

  2. Grâce à ces échanges, on découvre d'autres usages des cimetières qui dépassaient les simples enterrements ou les réguliéres visites rituelles de recueillement. On y apprend que cela servait aussi à favoriser les mariages et les rapprochements nuptiaux. On y apprend incidemment l'existence d'un véritable personnage " Rahil", "La KHATBA", véritable entremetteuse qui officiait dans ce cimetière. Qu'elle soit juive, épouse de rabbin, et permette le rapprochement nuptial de familles musulmanes, me semble prodigieux et aller contre tant de visions manichéennes sur le vivre ensemble d'autrefois entre habitants de la Tunisie. Voilà comment, du coup, l'Histoire véritable, l'Histoire populaire, celle des us et coutumes, celle du vivre ensemble, émerge à partir du mélange et de l'interaction des mémoires de chacun...Merci à toutes et à tous, pour ce que j'apprends ainsi grâce à vous, sur la complexité et la richesse de la vie urbaine d'autrefois. Je considère cette conversation comme un modèle de rédaction collective d'une Histoire du plus grand nombre, une histoire inclusive et démocratique.


    Moncef Bouchrara. 21 Mai 2021..
    Je prends la liberté de reproduire la discussion telle quelle s'est déroulée et fait émerger à notre connaissance Le Personnage De RAHIL :

SELMA BEN MOUSSA CHERICHI :

Les visites des morts aux cimetières étaient surtout une occasion pour les femmes de sortir et de se rencontrer entre elles, en ce qui concerne les filles à marier, d autres lieux étaient plus convenables et plus gais pour permettre aux intermédiaires ( il khatba ), je citerai parmi elle Rahil, la juive bien connue à Tunis, de choisir la perle rare. la plupart choisissait le hammam, ce lieu favori qui permettait aux femmes intéressées de bien observer un semblant de nudité de la fille qui pourrait satisfaire les critères de beauté de cette période lointaine. En conclusion, à choisir entre le cimetière et le hammam. . . No comment.

FEU AHMED BEN ABDALLAH :

A chacun ses astuces et sa filière, ici ce qui est recherché n'est pas le cimetière en soi mais la "baraka" de Sidi Belhassen. Beaucoup de femmes croyaient dur comme fer qu'elle ont réussi à marier leur fille grâce à cette "baraka", avantage qui ne se trouvait pas dans d'autres formules : le prétendant au mariage, en s'installant devant une tombe, pouvait "voir" (ne serai-ce que la silhouette) des filles à marier et faire le choix selon son goût. Au Hammam c'est la mère, la sœur ou la tante... qui font le choix.

SELMA BEN MOUSSA CHERICHI :

Oui bien sûr si Ahmed Ben Abdallah, vous avez raison, ce n'est qu'un avis personnel. Le ( Djellaz ), bien que ça soit un cimetière, il est pour moi, loin d'être lugubre est un endroit assez gai qui n est pas très loin du quartier de mon enfance, ( À Montfleury ) dont je garde les plus beaux souvenirs.

MILS FORSOKH :

Seuls les Tunisois du fin fond de la médina et ses impasses connaissent la fameuse "Rahil" qui est à vrai dire "Rachel" ....à l'origine des nombreux nids de "tourtereaux de bonnes familles" ....serait bien si quelqu'un poste une de ses photos (s'il y' en a?) .....et son mari était un Rabbin qui officiait entre autre au rayon volaille du Marché Central........voilà un volet de la culture de Tunis que rares ceux qui connaissent, c'est le patrimoine intangible de cette ville ....

MONCEF BOUCHRARA :

Bravo pour tous ces échanges sur ce thème des rapports hommes femmes dans l'espace public tunisois ( le Jellaz en étant un des principaux), Si Ahmed Ben Abdallah, Lella Selma Ben Moussa Cherichi et Si Mils Forsokh. Quelques détails et souvenirs supplementaires SVP sur "Rahil" ?

MILS FORSOKH :

Moncef Bouchrara Ceux qui sont passés dans son "répertoire" personnel ont certainement pas mal de souvenirs!!!!!!

SELMA BEN MOUSSA CHERICHI :

J aurais bien voulu avoir plus de renseignements sur cette dame ( Rahil ), malheureusement, mes cousines qui ont fait des mariages de raison grâce à elle, sont dans l incapacité de s en souvenir, quelques unes sont déjà mortes ( ça ne remonte pas le moral ) moi, j'ai échappé à cette pratique vu mon âge à cet époque. Seulement j'ai un souvenir très vague, elle était d un certain âge, parlait couramment l arabe, elle avait un portefeuille plein de photos d hommes, la famille intéressée avait l embarras du choix en plus Rahil avait un baratin exceptionnel qui lui permettait d avoir une approche facile avec les candidates au mariage. À partir des années 70, ce genre de mariage a commencé petit à petit à disparaître, avec lui les métiers d intermédiaires où il khatba, jadis, très florissants.

FEU AHMED BEN ABDALLAH :

Moncef Bouchrara Quand j'étais enfant j'ai entendu une conversation entre ma mère et une de ses amies en visite. Il était question d'une marieuse juive (je ne sais pas s'il s'agissait de Rahil ou d'une autre) qui voulait vérifier si la fille à marier répondait à une exigence du prétendant, à savoir, s'il elle a la peau des cuisses bien lisse ou granuleuse (comme la chair de poule, "djaji" était l'expression utilisée). A cette demande impudique la marieuse a été chassée. Dans ma famille on était contre l'intervention des marieuses, les projets se contractaient suite aux grandes occasions familiales qui permettaient de bien observer et d'évaluer l'élue...

MILS FORSOKH :

Le porte feuille-répertoire de "Rahil" la marieuse consistait en 2 pochettes de photos d’identité du photographe "Guyze" ,un avec les photos des jeunes-gens l'autre pour les jeunes filles ...elle ne démarchait que dans les maisons ...elle y mettait une solennité particulière; elle portait le sefsari de soie dans la rue quand elle rentrait elle le laisse tomber de sa tête, procède aux salamalecs d'usage comme elle connait tout le monde à commencer par la grand-mère jusqu'au dernier qui tète son biberon ...on l'installe on lui présente des gâteaux et on lui place une carafe d'eau devant elle ...et elle va parler des heures commentant les photos qu'elle sortait de son soutien-gorge seul moyen dont elle disposait pour transporter ces outils de travail ....Si mes souvenirs son exacts, c'était une dame de corpulence moyenne, les cheveux pas trop longs, le visage quand même marqué par des rides ....laissant deviner de beaux traits qui ont été marqué par le temps ...le plus remarquable c'est les propos qu'elle tenait pour la description élogieuse de ses candidats et tout leur clan.....et les portraits entre temps circulaient de main en main ...je ne sais pas comment elle se faisait payer .... certainement une somme honorable en reconnaissance d'un bonheur assuré .....il me semble que le succès des unions qui sont passée par elle est proche des 100% .....ce fut un temps avec d'autres mœurs ..".

MONCEF BOUCHRARA :

Merci à Mme Sémia Zouari de nous avoir fourni le nom : Rachel Bint Tnani. Cette discussion pourrait servir comme modéle pour nous tous. Je la signale aussi à Mme Emna Ben Miled qui désire et milite aussi pour l'écriture d'une autre Histoire, celle du plus Grand Nombre et pas seulement des guerriers et des assassins...Une Histoire des joies et des peines quotidiennes, nourries des mémoires de toutes et de tous. Bref, Une Histoire Inclusive..
Moncef Bouchrara. 21 mai 2021.