Sadok B.

SADOK B. (Ben Rachid Haj Youssef)

Fantôme tunisien de la Première Guerre mondiale

Objet sonore du patrimoine culturel immatériel - Pièce éteinte IEPN28 -

Sadok Ben Rachid, né en 1889, ouvrier agricole et poète populaire tunisien, est recruté en 1914 comme soldat « indigène » et envoyé combattre sur le front belge. Blessé, il est fait prisonnier par l’armée allemande et interné de 1915 à 1918 dans le camp de Zossen-Wünsdorf, près de Berlin.

Les 30 et 31 mai 1916, Sadok parle et chante devant un gramophone.
Il interprète une chanson de son pays. Il raconte son exil, sa douleur, sa captivité.
Ses paroles sont gravées sur un disque en gomme-laque et conservées dans les archives berlinoises du Lautarchiv, où elles dormiront plus de cent ans, presque jamais écoutées.

Ce témoignage sonore est accompagné d’une fiche d’identité remplie par des linguistes allemands, comportant de nombreuses erreurs, fausses pistes et approximations — autant de silences et de déformations autour d’une voix pourtant intacte.

En exhumant cette trace oubliée, Anne Kropotkine, chercheuse en histoire et documentariste sonore, et Marie Guérin, artiste sonore, entreprennent de suivre le chemin inverse de l’exil de Sadok. Leur enquête sonore reconstitue la migration de ce prisonnier :
du camp allemand de Zossen-Wünsdorf (où se trouve aujourd’hui un camp de réfugiés de la Croix-Rouge),
à la Méditerranée (traversée Marseille–Tunis),
jusqu’à Monastir, sa ville natale.

Ainsi, la voix de Sadok est rapatriée en Tunisie.
Il s’agit de l’un des premiers enregistrements conservés de musique populaire tunisienne.

Depuis février 2018, cette chanson est diffusée sur la route, écoutée, partagée, accompagnée de nouvelles rencontres et de nouveaux enregistrements.
La voix de Sadok, longtemps ensevelie dans les archives européennes, redevient un lien vivant entre passé et présent, entre guerre et poésie, entre oubli et mémoire.

Source et remerciements
Travail de recherche et de restitution sonore : Marie Guérin & Anne Kropotkine
🔗 https://micro-sillons.fr/chanteuses/

Mots-clés
tirailleur tunisien · Première Guerre mondiale · chant de prisonnier · archives sonores · Lautarchiv · exil · mémoire coloniale · patrimoine culturel immatériel · Tunisie

Cette fiche est issue d’un récit partagé dans le groupe Facebook Obliatrium, et fait partie de la Galerie des conversations et des objets sonores du musée Obliatrium Lab.

https://www.facebook.com/100011512566304/videos/2388881901246836?idorvanity=1739675999581337

Écouter la voix de Sadok

Pièce éteinte IEPN28 - Objet sonore du patrimoine culturel immatériel

Merci à Mme Ghariani Najet - aidée par M. Jasser Haj Youssef pour la reconstitution de ce chant :

جانا ا لخبر عشيه رمضان ، وبحديثهم هبلونا
جبدو الكواضغ والأڨلام ، و بالإسم نادوونا
ادّاونا حتّى الألمان ، وبرصاصهم جرحونا

و منين ڨدّر ربي علينا ، و آش ليلنا من حكومه

تجرحت ما بين جبلين ، وڨعدت نبكي انوّح
دمي يجري غدران ، بدني بكلّه مشوّه
فرحت وهزوني الألمان ، وحسبت روحي مروّح
لقيتهم قفلو علينا "الأسجان" ، وقعدت فيهم ملوّح

البلجيك عذبوني ، والطبّه زادو عليّ
عملو على قصّان رجلي ، حتى الطبيب حار فيّ

نا ڨلبي غصرات غصرات ، ياربي فرج علي

Témoignages de membres

Hélène Navas

Mon père, lieutenant Augustin Navas, était au 4ème RTT,pendant la guerre39-45. Venu en permission pour ma naissance il avait dit à ma mère :"j espère que la France se souviendra de ce que ces hommes ont fait pour elle.". Il a été tué à la prise de Monte Cacino en Italie. On sait ce qui a suivi en terme de "reconnaissance"

Parfois je me dis qu'il a mieux valu qu il ne voit pas ça......

Ridha Ben Hassine

Mon grand père était transporté en France puis il a été embarqué de là au Liban au sein de l'armée francaise c'était pendant la 2emm guerre

Au terme de cette enquête, le soldat n’est plus un inconnu : il est identifié comme Sadok Ben Rachid Haj Youssef.
Et le hasard ajoute une boucle troublante à cette histoire : l’un de ses descendants, M. Jasser Haj Youssef , est un musicien excellent et doué, ayant opéré auprès de l’Orchestre philharmonique de Berlin - la ville même où son aïeul fut emprisonné et enregistré.
Curieux retour, distribution inattendue des choses : la musique revient là où la voix avait été capturée, et la mémoire se réinscrit dans le lieu qui l’avait retenue.

Disque sur lequel fût gravé la voix de Sadok

Rencontre intergénérationnelle – Sadok & Jasser Haj Youssef

Dans son album Réminiscence – Viola d’amore, Jasser Haj Youssef ouvre sa création par la voix de son aïeul, Sadok Haj Youssef, enregistrée en 1916 dans un camp de prisonniers allemand.
La plainte chantée de Sadok, brute, a cappella, surgit d’un autre temps. Puis, peu à peu, la viola d’amore de Jasser s’élève et vient envelopper cette voix ancienne d’une musique douce, attentive, respectueuse.

Sans s’être jamais connus, les deux hommes se rencontrent à travers la musique.
L’un chante sa douleur depuis la guerre et l’exil ; l’autre répond, un siècle plus tard, par un geste musical qui prolonge, soutient et transforme cette voix héritée.

Cette œuvre crée une rencontre intergénérationnelle exceptionnelle : deux générations unies par le son, par la mémoire et par un même rapport intime à la musique.
La voix enregistrée devient présence, la musique contemporaine devient hommage.
Entre eux, le temps se suspend, et la transmission s’accomplit sans mots, uniquement par les notes.

Rencontre intergénérationnelle – Sadok & Jasser Haj Youssef

L’histoire de Sadok n’est pas une exception : elle est un signe.
Il existe des milliers d’histoires de tirailleurs tunisiens enfouies quelque part dans les plis de l’Histoire, dispersées dans des archives lointaines, des tiroirs anonymes, des fonds sonores ou administratifs, attendant d’être exhumées.
Autant de patrimoines immatériels riches, méconnus, parfois abandonnés, qui n’existent encore que sous forme de traces fragiles — et qui ne redeviendront vivants que si nous décidons de les écouter, de les documenter et de les transmettre.

La nouba des tirailleurs

Cette page participe à la conservation, à la transmission et à la restitution du patrimoine culturel immatériel tunisien.